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  • : Dans la mythologie grecque, Salmacis est une naïade. Alors qu'Hermaphrodite se baigne dans une source de Carie, Salmacis, nymphe de la source, s'éprend de lui. Ne pouvant se contenir, elle étreint le jeune homme contre elle, et supplie les dieux d'être unie à lui pour toujours. Son vœu est exaucé et tous deux ne forment plus qu'un seul être, bisexué, à la fois mâle et femelle. Sa tentative de viol sur Hermaphrodite constitue un cas unique pour une nymphe grecque.
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Jeudi 29 mai 4 29 /05 /Mai 07:09






La maladie de la mort

Marguerite duras


Vous devriez ne pas la connaître, l'avoir trouvée partout à la fois, dans un hôtel, dans une rue, dans un train, dans un bar, dans un livre, dans un film, en vous-même, en vous, en toi, au hasard de ton sexe dressé dans la nuit qui appelle où se mettre, où se débarrasser des pleurs qui le remplissent.
Vous pourriez l'avoir payée. Vous auriez dit : Il faudrait venir chaque nuit pendant plusieurs jours.
Elle vous aurait regardé longtemps, et puis elle vous aurait dit que dans ce cas c'était cher.
Et puis elle demande : Vous voulez quoi ?
Vous dites que vous voulez essayer, tenter la chose, tenter connaître ça, vous habituer à ça, à ce corps, à ces seins, à ce parfum, à la beauté, à ce danger de mise au monde d'enfants que représente ce corps, à cette forme imberbe sans accidents musculaires ni de force, à ce visage, à cette peau nue, à cette coïncidence entre cette peau et la vie qu'elle recouvre.
Vous lui dites que vous voulez essayer, essayer plusieurs jours peut-être. Peut-être plusieurs semaines. Peut-être même pendant toute votre vie.
Elle demande : Essayer quoi ? Vous dites : D'aimer.


Elle demande : Pourquoi encore ?
Vous dites pour dormir sur le sexe étale, là où vous ne connaissez pas.
Vous dites que vous voulez essayer, pleurer là, à cet endroitlà du monde.
Elle sourit, elle demande Vous voudriez aussi de moi ?
Vous dites : Oui. Je ne connais pas encore, je voudrais pénétrer là aussi. Et aussi violemment que j'ai l'habitude. On dit que ça résiste plus encore, que c'est un velours qui résiste plus encore que le vide.
Elle dit qu'elle n'a pas d'avis, qu'elle ne peut pas savoir.

Elle demande : Quelles seraient les autres conditions ?
Vous dites qu'elle devrait se taire comme les femmes de ses ancêtres, se plier complètement à vous, à votre vouloir, vous être soumise entièrement comme les paysannes dans les granges après les moissons lorsque éreintées elles laissaient venir à elles les hommes, en dormant - cela afin que vous puissiez vous habituer peu à peu à cette forme qui épouserait la vôtre, qui serait à votre merci comme les femmes de religion le sont à Dieu - cela aussi, afin que petit à petit, avec le jour grandissant, vous ayez moins peur de ne pas savoir où poser votre corps ni vers quel vide aimer.
Elle vous regarde. Et puis elle ne vous regarde plus, elle regarde ailleurs. Et puis elle répond.
Elle dit que dans ce cas c'est encore plus cher. Elle dit le chiffre du paiement.
Vous acceptez.











Chaque jour elle viendrait. Chaque jour elle vient.
Le premier jour elle se met nue et elle s'allonge à la place que vous lui désignez dans le lit.
Vous la regardez s'endormir. Elle se tait. Elle s'endort. Toute la nuit vous la regardez.
Elle arriverait avec la nuit. Elle arrive avec la nuit.
Toute la nuit vous la regardez. Pendant deux nuits vous la regardez.
Pendant deux nuits elle ne parle presque pas.
Puis un soir elle le fait. Elle parle.
Elle vous demande si elle vous est utile pour faire votre corps moins seul. Vous dites que vous ne savez pas bien comprendre ce mot lorsqu'il désigne votre état. Que vous en êtes à confondre entre croire être seul et au contraire devenir seul, vous ajoutez comme avec vous.
Et puis une fois encore au milieu de la nuit elle demande Quelle est l'époque de l'année en ce moment ?
Vous dites : Avant l'hiver, encore en automne.
Elle demande aussi : Qu'est-ce qu'on entend ?
Vous dites : La mer.
Elle demande : Où est-elle ? Vous dites : Là, derrière le mur de la chambre. Elle se rendort.











Jeune, elle serait jeune. Dans ses vêtements, dans ses cheveux, il y aurait une odeur qui stagnerait, vous chercheriez laquelle, et vous finiriez par la nommer comme vous avez le savoir de le faire. Vous diriez : Une odeur d'héliotrope et de cédrat. Elle répond : C'est comme vous voudrez.

Un autre soir vous le faites, comme prévu, vous dormez le visage dans le haut de ses jambes écartées, contre son sexe, déjà dans l'humidité de son corps, là où elle s'ouvre. Elle vous laisse faire.

Un autre soir, par distraction, vous lui donnez de la jouissance et elle crie.
Vous lui dites de ne pas crier. Elle dit qu'elle ne criera plus. Elle ne crie plus.
Aucune jamais ne criera de vous désormais.

Peut-être prenez-vous à elle un plaisir jusque-là inconnu de vous, je ne sais pas. Je ne sais pas non plus si vous percevez le grondement sourd et lointain de sa jouissance à travers sa respiration, à travers ce râle très doux qui va et vient depuis sa bouche jusqu'à l'air du dehors. Je ne le crois pas.
Elle ouvre les yeux, elle dit Quel bonheur.
Vous mettez la main sur sa bouche pour qu'elle se taise, vous lui dites qu'on ne dit pas ces choses-là.
Elle ferme les yeux.
Elle dit qu'elle ne le dira plus.
Elle demande si eux ils en parlent. Vous dites que non.
Elle demande de quoi ils parlent. Vous dites qu'ils parlent de tout le reste, qu'ils parlent de tout, sauf de cela.
Elle rit, elle se rendort.








Quelquefois vous marchez dans la chambre autour du lit ou le long des murs du côté de la mer. Quelquefois vous pleurez. Quelquefois vous sortez sur la terrasse dans le froid naissant. Vous ne savez pas ce que contient le sommeil de celle-là qui est dans le lit.
De ce corps vous voudriez partir, vous voudriez revenir vers le corps des autres, le vôtre, revenir vers vous-même et en même temps c'est de devoir le faire que vous pleurez.


Elle, dans la chambre, elle dort. Elle dort. Vous ne la réveillez pas. Le malheur grandit dans la chambre en même temps que s'étend son sommeil. Une fois vous dormez sur le sol au pied de son lit.
Elle se tient toujours dans un sommeil égal. De dormir si bien il lui arrive de sourire. Elle ne se réveille que lorsque vous touchez le corps, les seins, les yeux. Il lui arrive aussi de se réveiller sans raison, sauf pour vous demander si c'est le bruit du vent ou celui de la marée haute.
Elle se réveille. Elle vous regarde. Elle dit : La maladie vous gagne de plus en plus, elle a gagné vos yeux, votre voix.
Vous demandez : Quelle maladie ?
Elle dit qu'elle ne sait pas encore le dire.
Nuit après nuit vous vous introduisez dans l'obscurité de son sexe, vous prenez sans presque le savoir cette route aveugle. Parfois vous restez là, vous dormez là, dans elle, toute la nuit durant afin d'être prêt si jamais, à la faveur d'un mouvement involontaire de sa part ou de la vôtre, l'envie vous venait de la prendre une nouvelle fois, de la remplir encore et d'en jouir seulement de jouissance comme toujours aveuglé de larmes.

Elle serait toujours prête, consentante ou non. C'est sur ce point précis que vous ne sauriez jamais rien. Elle est plus mystérieuse que toutes les évidences extérieures connues jusque-là de vous.
Vous ne sauriez jamais rien non plus, ni vous ni personne, jamais, de comment elle voit, de comment elle pense et du monde et de vous, et de votre corps et de votre esprit, et de cette maladie dont elle dit que vous êtes atteint. Elle ne sait pas elle-même. Elle ne saurait pas vous le dire, vous ne pourriez rien en apprendre d'elle.
Jamais vous ne sauriez, rien ni vous ni personne, de ce qu'elle pense de vous, de cette histoire ci. Quel que soit le nombre de siècles qui recouvrirait l'oubli de vos existences, personne ne le saurait. Elle, elle ne sait pas le savoir.

Parce que vous ne savez rien d'elle vous diriez qu'elle ne sait rien de vous. Vous vous en tiendriez là.


..........





 

 

 




Commentaire de MAURICE BLANCHOT sur ce texte:

" C'est simple - un homme qui n'a jamais connu que ses semblables, c'est à dire seulement d'autres hommes... et une jeune femme, liée par un contrat payé pour quelques nuits... rapport seulement contractuel... parce qu'elle a pressenti dès l'abord. qu'incapable de pouvoir aimer, il ne peut s'approcher d'elle que conditionnellement... de même qu'elle s'abandonne en apparence entièrement, mais n'abandonne que la part d'elle-même qui est sous contrat, préservant ou réservant la liberté qu'elle n'aliène pas... . Cette impuissance n'est nullement l'impuissance banale d'un homme défaillant, face à une femme qu'il ne saurait rejoindre sexuellement. Il fait tout ce qui doit être fait. Elle le dit avec sa concision sans réplique " cela est fait". Davantage, il lui arrive " par distraction " de provoquer le cri de la jouissance... Mais comme rien en lui ne correspond à ces mouvements excessifs... il les réprime, il les annule...

Le manque de sentiment, le manque d'amour, c'est cela, donc qui signifierait la mort, cette maladie mortelle dont l'un est frappé sans justice et dont l'autre apparemment est indemne, bien qu'elle en soit la messagère et, à ce titre, non dégagée de responsabilité. "





Illustrations: Jack Vetriano et Joan Sommel


Par Salmacis - Publié dans : Textes
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