LAURE (COLETTE PEIGNOT)
Laure est cette jeune femme, maintenant célèbre, qui fut la compagne de Georges Bataille dans les années qui précédèrent la dernière guerre.
Elle mourut en 1938, à trente cinq ans.
Les textes qu'elle laissait furent d'abord publiés hors commerce et à très peu d'exemplaires par les soins de Georges Bataille et de Michel Leiris.
Laure abominait la littérature et tout ce qui s'y rapporte.
Elle n'a jeté des cris sur des papiers que pour pouvoir respirer.
Informulés, ces « cris » eussent-ils été plus vrais ?
En fait d'expression, nous nous trouvons ici au bord de l'inarticulé en même temps qu'au comble de l'exactitude.
On ne saurait dire plus : avec son "Histoire d'une petite fille" comme avec ses poèmes, Laure coïncide avec la langue elle-même.
Notre réaction confrontée à un aussi parfait accord entre ce qu'un auteur entendait signifier et la manière dont il s'y est pris pour aboutir, nous incite à nous demander si nous ne sommes pas atteints jusque dans nos viscères.
Bataille partagea sa vie et sa mort, fut à jamais bouleversé par celle dont il dit :" Jamais personne ne me parut comme elle intraitable et pure, ni
plus décidément souveraine."
Extrait de "Fragments et plans de textes érotiques"
" Ils se croisent un soir au coin d'une rue et, tous deux se retournant pour voir l'autre « au moins de dos », se retrouvent face à face.
Un coup d'oeil échangé : l'homme commandait qu'elle vînt à lui, elle implorait d'accourir.
Quand elle fut là, sans qu'il eût bougé, il lui dit : « Je te reconnais fille, soeur, mère et chienne en volupté ; fais ce geste que tu sais avant que je ne l'attende. » Mais elle le gifla et s'enfuit.
Alors un rire la poursuivit qui se suspendit à son cou comme un grelot et la ramena... à la laisse.
Lui n'avait pas bougé, mais son sexe maintenant brillait dans la nuit et il le maintenait et l'agitait de droite à gauche, de gauche à droite, d'abord nonchalamment.
Elle s'approcha : alors, lui, de sa main libre, la gifla en l'envoyant rouler sur le pavé de la chaussée.
Comme elle se relevait, il lui cracha au visage en lui commandant de rester où elle était. « Ça te va si bien cet encadrement de boue et de crottin, continue, roule-toi bien. »
Il était au-dessus d'elle, tout droit, très haut, son sexe brillait dans un rai de lumière ; alors elle le désira, elle le voulut et lui, d'une voix basse et frénétique, lui dit : « Chienne, trois fois chienne, tu oses vouloir » ; il l'enjamba et lui ordonna de se rouler encore entre ses jambes écartées qui conduisaient rudemment cette roulure vers une bouche dégoût toute encombrée d'ordures.
Elle, les bras le long du corps, roulait sur elle-même : ventre, côté et dos et puis dans l'autre sens en proie au délire et à la vision de ce sexe agité et triomphant qui commandait le rythme.
Enfin, elle vint buter contre le trottoir dans un glouglou d'eau de ruisseau.
Les cheveux pleins de déjections, les yeux fous, la bouche salie, toute jaune aux commissures des lèvres mais avide encore et deux mains qui s'élevaient, se tendaient, blanches, diaphanes, vers le sexe.
Elle était toute prière, toute offrande. Il cracha dans cette bouche entrouverte et mordit les doigts si fins qu'il n'en fit qu'une bouchée de tendres cartilages.
Et comme il s'éloignait à reculons, afin qu'elle ne perdît pas de vue le sexe monstreux, elle se traîna devant lui sur ses moignons et sur ses genoux.
Il monta quelques marches et franchit, toujours à reculons, une immense porte romane où elle s'engagea à son tour comme une chienne boiteuse.
Il s'enfonça dans un sombre bâtiment en forme de couloir, elle traînait sur un tapis pourpre son corps béant de plaies sanglantes et d'ordures.
Montant quelques degrés encore, au plus profond de l'obscurité, il lui commanda de s'agenouiller devant une grille basse qui les séparait.
Disposant sur les poignets un linge blanc, il y plaça sa queue.
Quand elle eut communié et une fois le foutre avalé, les doigts repoussèrent (avec des ongles vernis « angélus ») et le corps blessé revint à la pleine santé.
Le grand orgue, de son propre mouvement, célébra ce miracle, et l'homme et la femme, et Verax et Laure s'en allèrent très tranquillement chier dans les bénitiers et pisser dans le ciboire, puis ils se lavèrent le derrière avec la nappe de communion trempée d'eau bénite avant de retourner à leurs affaires, à leur vie dont chaque heure était une joie et une haine.
Elle monta le lendemain sur l'autel pour montrer son cul à tous les fidèles et le prêtre, à l'élévation, écarta les cuisses entre lesquelles pénétra l'hostie, puis il lécha ce cul divin jusqu'à ce que l'enfant de choeur, s'agenouillant devant lui, vînt à grands coups d'encensoir libérer la queue d'entre les dentelles et les dorures et avaler le Saint-Foutre qui lui jaillit à la figure.
Cependant Laure, le cul nanti d'un sacré suppositoire, libéra son ventre et sa vie avec des cris sauvages et des convulsions ébranlant jusque dans ses fondements le maître-autel qui s'effondra sous elle.
Et l'on vit enfin le Christ d'argent vaciller dans la merde.."
LAURE
Illustration: Hans Bellmer